KVM — Ju Hyun Lee & Ludovic Burel, Coréaniser Corbu
Sur une invitation du Frac Franche-Comté, le 19, Centre régional d’art contemporain à Montbéliard, propose un prolongement de son exposition collective indexmakers en présentant une installation et une performance du KVM, duo de performeurs/chercheurs composé de Ju Hyun Lee & Ludovic Burel.
Coréaniser Corbu consiste en un ensemble de douze chaises réalisées à partir des mesures du Modulor de Le Corbusier associé à une bande sonore, le Poème électronique coréen, composé par Géry Petit.
Intéressé depuis sa création en 2012 par la question post-coloniale, le KVM questionne la relation entre le centre et la périphérie. Question que Jacques Soulillou résume en ces termes dans Le Livre de l’ornement et de la guerre : «Centre : arts majeurs, homme, blanc, façade, décor… Périphérie : arts mineurs, femme, couleur, sauvage, motif décoratif, ambiance…»
Le KVM a ornementalisé, indigénisé et «coréanisé» ces chaises, en y ajoutant des mousses revêtues de madae, de la toile de jute synthétique, un matériau coloré utilisé pour l’emballage des denrées sur les marchés traditionnels coréens. Il a associé ainsi aux formes orthogonales des éléments de mobilier en médium, des mousses colorées, «molles», «féminines», «orientales».
Le son feutré, épisodique, de la bande son vient « napper » l’ensemble de l’installation. Il s’agit d’une reprise du Poème électronique d’Edgard Varèse – commandité par Le Corbusier pour le Pavillon Phillips, dessiné par le compositeur et architecte Iannis Xenakis à l’occasion de l’exposition universelle de Bruxelles de 1958 – réalisée par le designer sonore Géry Petit, qui l’a hybridé coréennement en cultivant l’héritage musical coréen.
Les chaises sont autant de personnages à l’écoute de sources sonores qui ont voyagé à travers la terre et le temps (le dadeumi, le repassage sur pierre à l’aide d’un bâton en bois ; le guenguari, la percussion métallique utilisée pendant les fêtes de récoltes ; le chang, le chant ou cri d’une femme âgée, etc.).
Coréaniser Corbu s’attelle à déconstruire l’ambivalence d’auteurs occidentaux envers l’Orient – ambiguité fondamentale décelable dans la séminale Grammaire de l’ornement (The Grammar of Ornement, 1856) d’Owen Jones, aussi bien que dans le fameux article de l’architecte autrichien Adolph Loos, Ornement et crime (Ornement und Verbrechen, 1908).
Plus proche de nous – si l’on pense à l’Église de Ronchamp, qui est la vivante illustration de cette ambivalence (car l’expression du goût de Le Corbusier pour l’architecture vernaculaire méditerranéenne, en l’occurrence la mosquée algérienne de Sidi Ibrahim, qui l’influença) –, mentionnons également les quolibets de Le Corbusier, dans sa revue de L’Esprit nouveau (1920-25), où il met notamment en parallèle la sobriété de l’habit du gentleman, celui du président français Gaston Doumergue, avec l’exubérance ornementale de l’empereur vietnamien Khai Dinh.
En un mouvement de reverse engineering esthétique, Coréaniser Corbu inverse le processus de « modernisation » de l’Asie par l’Occident, en réactualisant l’art populaire coréen, sobrement ornemental et fonctionnel.
dans le prolongement de l’exposition indexmakers
du 23 septembre 2017 au 7 janvier 2018
Centre régional d’art contemporain le 19, Montbéliard
jeudi 19 octobre à 18h30
Performance du KVM et ses invites FGFG—A Kitchen Debate: Spices & Species